QUAND CHARLEMAGNE CONQUIERT LA LOMBARDIE
IL Y A MILLE DEUX CENTS ANS, Charlemagne disparaissait. Mais connaît-on l’empereur carolingien, mis à part ses écoles et sa barbe fleurie ? L’Europe occidentale était déjà relativement unifiée à la fin de son règne.
Héritier des maires du palais d’Austrasie, de Bourgogne et de Neustrie - les trois royaumes francs – Charles est le fils de la fameuse Berthe aux grands pieds et de Pépin III le Bref, lui-même fils de Charles Martel. A la mort de son père Pépin, Charles hérite avec son frère Carloman de la couronne que Pépin a ceint après avoir enfermé le roi légitime et s’est fait élire roi. C’est donc en héritier d’une dynastie qui aspire au pouvoir et qui réussit son coup de force que Charles s’impose peu à peu : d’abord maires du palais, c’est-à-dire intendant et détenteur du pouvoir dans la maison du roi, les carolingiens deviennent avec Pépin III une dynastie royale. Charles est ainsi co-roi des Francs avec son frère de 768 à 771, date à laquelle Carloman meurt. C’est là que commence le véritable règne de Charles. Et ce règne passe par la légitimation de sa dynastie.
Pépin s’était illustré entre 754 et 768 en lançant des expéditions victorieuses contre les intentions d’expansion des Lombards et avait offert à l’Eglise les territoires conquis (un vingtaine de villes de l’Italie centrale dont Ravenne et Pérouse, ces terres sont appelées patrimoine de Saint-Pierre) contre la reconnaissance de sa dynastie.
A la suite du pape Etienne II, Adrien Ier sollicite Charles pour combattre les Lombards, toujours menaçants. Le roi de ces derniers, Didier, entreprend une expansion territoriale qui inquiète tant le pape que Charles. Ce dernier tente d’abord de conquérir la Lombardie pacifiquement en épousant en 770 la fille de Didier alors que Carloman épouse une autre fille de Didier. L’échec est cuisant et l’épouse de Charles est répudiée moins d’un an plus tard. En 773, Ravenne est investie par les Lombards et Charles intervient alors militairement à la demande du successeur de Pierre. Didier de Lombardie souhaite même faire sacrer son petit-fils, fils de Carloman et donc neveu de Charles, à Rome. Les Francs font alors le siège de Pavie, capitale de Didier, qui capitule en juin 774. Charles a rejoint Rome pour la Pâques et devient le premier chef franc à entrer dans ville impériale et apostolique ; il se fait titrer Gratia Dei Rex Francorum atque Langobardorum et patricius Romanorum- roi des Francs et des Lombards et patrice des Romains par la grâce de Dieu : la dimension européenne et religieuse du roi Charles est bien visible par ses titres. Charles fait alors son entrée dans Pavie, coiffé d’une couronne de fer dont le fermoir aurait été forgé avec un clou de la Vraie Croix.
Depuis 754 et la première campagne contre les Lombards, le roi est dit fils aîné de l’Eglise en souvenir non seulement de Clovis mais surtout de la protection assurée à l’Eglise par Pépin le Bref et le don du Patrimoine de Saint-Pierre. Le chroniqueur de l’époque, Eginhard, laisse un portrait flatteur du roi franc : guerrier et conquérant, Charles est aussi juste et assure à l’Eglise du Christ sa protection en supprimant le danger lombard. La Lombardie conquise, Charlemagne se considère, nous l’avons vu roi des lombards car en ce VIIIème siècle le roi victorieux est soutenu par Dieu : Didier de Lombardie est donc un roi vaincu, déchu, nul et non avenu du point de vue franc. Charles confirme en 774 au pape Adrien le don des terres à l’Eglise faîte par son père à Etienne II en 754 et place son fils Carloman, rebaptisé Pépin, roi d’Italie et la fait sacrer à Rome. Ce titre de roi d’Italie ne correspond en fait à aucun Etat réel et le roi des Francs garde le pouvoir réel. Didier de Lombardie est quant à lui envoyé comme moine à Corbie.
La protection des intérêts de l’Eglise est bien sûr aussi le moyen de défendre les intérêts du royaume. Cependant, assurer le secours à l’image du Christ sur terre qu’est l’Eglise est un moyen de salut- l’on disait alors pro remedio animae. Le roi est déjà perçu comme le médiateur entre Dieu et le peuple dont il est responsable, y compris dans la question essentielle alors du salut. A l’appel de Rome, Charles répond et en profite pour affirmer sa puissance en Europe et dans le monde chrétien. Le pape aurait en effet pu demander à l’empire romain d’Orient de le secourir face à Didier de Lombardie mais il n’en est rien : face l’empire byzantin a la foi capricieuse et en pleine crise iconoclaste -Rome affirme qu’il faut respecter les images religieuses sans les adorer alors que Byzance a relancé l’adoration des icônes- la papauté va s’appuyer sur le soutien certes intéressé mais fructueux de la nouvelle dynastie franque. Assurément, le roi franc entend étendre son pouvoir sur l’Italie et va jusqu’à pénétrer les terres de l’empire byzantin, son grand rival chrétien. En annexant le nord de l’Italie au nom de l’Eglise mais en gardant dans les faits la mainmise sur les territoires grâce à l’expulsion de Didier et fort de l’appui appui de l’Eglise, Charles est avant même d’être sacré empereur le 25 décembre 800, le restaurateur d’un empire d’Occident. Son territoire va alors de l’Ebre à l’Eider et rassemble ainsi la plupart des terres de l’Europe occidentale. la faiblesse de Byzance, contrôlée par l’usurpatrice Irène, et celle militaire de Rome font de Charles Ier, roi des Francs, l’un des rois plus puissants du haut Moyen-Age, il reçoit même les honneurs dus à l’exarque de Ravenne - l’exarque est l’évêque représentant le patriarche de Byzance.
La conquête de la Lombardie par Charles, devenu pour la postérité Charlemagne (Carolus Magnus signifiant Charles le Grand), anticipe grandement la restauration de l’empire d’Occident et préfigure le sacre impérial. Si la dynastie qu’il installa en Italie fut « oubliée », à défaut de n’être jamais officiellement destituée, l’empreinte du plus grand carolingien marque l’Europe. En effet, n’oublions pas que si le Saint Empire romain Germanique vit son territoire s’amoindrir peu à peu, il exista de 902 jusqu’en 1806. Nul doute que les empereurs, d’Otton Ier à François II, furent hantés par le souvenir de Charlemagne.
POUR ALLER PLUS LOIN
- Eginhard, Vita Karoli Magni Imperatoris, traduit du latin par L.Halphen,1923
- Edward Gibbon, Charlemagne, Payot
- Marcel Julian, la vie de Charlemagne, Flammarion